Argent Sale - comment fait-on pour le blanchir?

Bachir El Nakib (CAMS), Senior Consultant, Compliance Alert, LLC

Le blanchiment d'argent est le processus consistant à dissimuler la source de l'argent ou des biens tirés d'activités criminelles. Une grande variété d'activités illégales sont motivées par le profit, notamment le trafic de stupéfiants, la contrebande, la fraude, l'extorsion de fonds et la corruption.

Comment fait-on pour blanchir de l’argent sale ?

De Mexico City (Mexique)

 

Mon voisin dealer était un mec des classes populaires. On allait à la même école publique, mais il était un peu plus jeune que moi.

 

Il n’a jamais brillé, ni excellé dans quoi que ce soit; il passait ses après-midi debout devant sa maison ou dans un coin de rue, sans ennuyer personne, et sans que personne ne l’ennuie. Je m’aventurerais même à dire que c’était un gars tranquille, qui faisait profil bas, presque un fantôme. C’est pourquoi son job de rêve était de devenir dealer de drogue. Je doute qu’il avait une grande connaissance de la culture du monde criminel ou même qu’il aspirait à devenir un « capo » (un parrain) mais son petit commerce de drogue continuait à grandir.

 

Un jour, complètement à l’improviste, il a acheté un scooter, puis une moto, et enfin, une vieille Mustang. Un jour, il a eu la brillante idée d’ouvrir une laverie pour justifier ses nouveaux revenus et son statut social. Il a tout simplement reproduit le schéma de Meyer Landsky, le comptable de la pègre de Chicaco des années 30 qui, pour rendre légal l’argent sale d’Al Capone et cie, avait ouvert des dizaines et des dizaines de laveries qui tournaient à vide.

Le principe du blanchiment d’argent est simple: justifier ou couvrir l’origine de ressources obtenues à travers une activité illicite. Le plus facile est d’ouvrir un commerce qui manipule beaucoup d’argent liquide – un restaurant, une laverie, un bar-tabac – dans une zone où ce genre d’établissements ne génère pas beaucoup de profits. Un hôtel quatre étoiles situé dans une zone industrielle ou un restaurant situé en dehors des zones commercantes, par exemple.

 

Ce schéma classique est devenu de plus en plus sophistiqué pour éviter d’être détecté.

 

Aujourd’hui, le blanchiment d’argent, c’est comme diriger une multinationale. Cela inclut des personnes, des organisations, et des institutions dans différents pays pour que la tache soit accomplie.

 

Dans son livre Los Delitos Economicos en la Actividad Financiera (Les délits économiques dans la finance), Antonio Hernandez Quintero décrit les trois phases du processus de blanchiment d’argent :

 

1) Placer physiquement l’argent dans le système financier à travers une banque, un compte épargne ou une société de courtage.

 

2) Effacer toute trace, en transferant l’argent vers d’autres banques, généralement situées dans les paradis fiscaux

 

3) Réintégrer l’argent dans le marché d’où il est initialement sorti, par la vente et l’achat d’immobilier ou de faux commerces – ce qui va générer des profits légaux.

 

Un exemple: la banque HSBC qui, en quatre ans, a blanchi 290 millions de dollars US appartenant aux cartels mexicains de la drogue. Ceux-ci utilisaient des travelers cheques et leur système était si compliqué qu’il aurait pu avoir été écrit par les frères Wachowski (réalisateurs de la trilogie Matrix).

 

« Un chèque de voyage (ou en anglais traveler’s cheque) est un chèque pré-imprimé, au montant fixé, conçu pour permettre à la personne qui les signe de payer un tiers sans condition aucune, après avoir lui-même payé l’émetteur du chèque pour obtenir ce privilège. » (Wikipédia)

 

Une trentaine de compagnies et de personnes russes étaient impliquées dans l’opération, leur capital provenant de banques russes ou de comptes en banque situés dans les Îles Vierges Britanniques. Etaient également impliquées SK trading (une société de commerce coréenne), Hokuriku Bank (une banque japonaise) et HBUS (un sous-traitant américain d’HSBC).

 

Voici comment tout cela fonctionnait.

 

Les cartels mexicains versaient physiquement de l’argent (sale) dans des banques russes ou dans des comptes situés dans les Îles Vierges Britanniques, paradis fiscal notoire.

 

Les comptes étaient libellés au nom de Russes qui, auprès de ces établissements financiers, faisaient émettre des traveler’s cheque.

 

Le fonctionnement normal des chèques prévoit trois signattaires différents :

 

A : l’émetteur (celui qui paie la voiture)

 

B : le vendeur (celui qui vend la voiture)

 

C : la banque de l’émetteur (celui qui a l’argent)

 

Dans notre fraude, tous les chèques étaient signés par la même personne.

 

Ils partaient de Russie vers la Corée sous prétexte d’achat d’une voiture. La société de commerce coréenne déposait ensuite ces chèques dans la banque japonaise.

 

A son tour, Hokuriku Bank ouvrait des comptes chez HBUS, et y déposait les chèques par paquets de 220, chaque chèque ayant un montant de 500 ou de 1000 $. L’argent était alors reversé à Hokuriku Bank, comme si HBUS avait été la banque auprès de laquelle Hokuriku avait contracté les traveler’s cheque pour payer les voitures. Sauf qu’aucune voiture n’est jamais partie de Corée, et l’argent pouvait donc rester dans les coffres japonais.

 

Selon le rapport, HBUS estime avoir blanchi, en 2008, entre 500 000 et 600 000 de dollars par jour. Hokuriku a calculé avoir blanchi entre 70 et 90 millions de dollars par an entre 2005 et 2008.

 

Le blanchiment d’argent est considéré comme un crime à col blanc, sans victimes. Mais il ne pourrait pas exister sans les trafics humains, les kidnappings, les meutres, le vol ou le proxénétisme, sans le terrorisme, la corruption ou le trafic d’armes.

 

Selon le Fond Monétaire International, le blanchiment d’argent représenterait entre 2 et 5 % du PIB mondial. Au Mexique, le Ministère du Trésor et des Finances estime qu’environ mille milliards de dollars sont blanchis chaque année dans le pays.

 

Selon les experts, aucun Etat, compagnie ou système n’est immunisé contre ce fléau.

 

Mon voisin dealer non seulement avait une laverie, mais commencait à créer des emplois, certains dans l’économie légale et d’autres dans l’économie informelle. Il a commencé à s’acheter de meilleurs vêtement et à en offrir à sa mère, a réparé sa vieille Mustang et voyageait beaucoup.

 

Un jour, mon voisin a fermé sa laverie, a réparé la maison de sa mère et a disparu sans laisser de traces. Peut-être qu’il avait gravi les échelons, peut-être qu’il avait juste « disparu », peut-être qu’on l’avait tué. Qui sait ?

 

 

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